Afrique / Mode : « A mes débuts, je n’avais pas de machine à coudre, j'en louais une à 1500f CFA par mois »
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Il y’a quelques semaines, Pathé’O, couturier, tailleur, styliste, commémorait, à Abidjan, 50 ans de carrière. 50 années trop vite écoulées, selon ses dires, au cours desquelles il a réussi à se faire un nom dans cet écosystème, au point d’être fait officier de l’ordre national de l’Etat de Côte d’Ivoire, le 29 mai 2021. Comment de Guibaré, son village natal à 87 km de Ouagadougou, dans le centre-nord du Burkina Faso, Pathé Ouédraogo, Directeur Général de la Maison Pathé’O, est-il parvenu à devenir une icône de la mode ivoirienne et africaine ? Interview.
Afrik-une : Vous
célébriez, il y’a un mois, 50 ans de présence dans la mode ivoirienne et
africaine. Comment avez-vous vécu ces instants ?
C’est l’aboutissement d’un travail de longue date,
bien vrai que la couture soit un métier non considéré. En Afrique, nous n’avons
pas encore pris conscience de l’importance de la mode. Cela dit, les gens se
parfument et s’habillent. Mais ils ne savent pas que la mode est une mine qui
peut offrir des emplois. La couture n’est pas un refuge pour les gens qui ont
échoué à l’école ou ailleurs. C’est un métier noble comme tout autre.
Afrik-une : Ce
cinquantenaire est-il, pour vous, synonyme d’accomplissement personnel ?
La mode est un renouvellement perpétuel. On ne
peut pas dire qu’on a atteint notre but. Quand on parle de 50 ans, on a
l’impression que c’est long, mais pour nous c’est un temps vite parcouru. Au
fil du temps, on se dit que ce qui reste à faire est plus énorme que ce qui a
été fait. La mode, au fur et à mesure que l’on s’approche d’elle, elle
s’éloigne de vous. Chaque jour, il faut créer et innover, donc nous qui
pratiquons la mode, nous vieillissons sans le savoir.
Afrik-une : Depuis
un demi-siècle, vous habillez, à travers le monde, des anonymes, des célébrités
et même des chefs d’Etat et de gouvernement. Dites-nous, comment l’aventure a-t-elle
démarré ?
Tout a commencé en 1969 à mon arrivée en Côte d’Ivoire
du Burkina Faso. A l’époque, c’était un métier accessible pour des gens
modestes comme nous, qui n’avons pas une famille aisée et des diplômes. J’ai, d’abord,
fait cinq ans d’apprentissage de couture-homme chez
mon premier maitre Gaoussou Bakayoko, à Treichville à l’avenue 6 rue 17. Et quatre ans pour me former à la couture dame, chez Cheick N’diaye, à l’avenue 7.
Après tout ce temps, je n’avais pas d’argent pour
m’installer. J’ai encore fait six ans d’adaptation. C’est-à-dire, quand j’ai
quitté mon patron, personne ne voyait mon travail parce que cela se faisait de
bouche à oreille. Et c’est après quinze ans que nous avons commencé à
travailler réellement. A mes débuts, je n’avais pas de machine à coudre. J'en louais
une à 1500f par mois et le loyer était à 3500f, que mon collègue et moi payions
1750f chacun.
Quand j’ai fait mon atelier en 1985, j’ai été
invité à une émission pour exposer mes créations. Je suis allé avec deux
mannequins qui étaient des jumelles dans mon quartier. Quand le père des filles
a vu ses enfants à la télé, il m’a convoqué à la police et j’ai dormi là-bas.
En ce moment, on n’avait rien pour payer les mannequins. Après le défilé, ensemble
on partait manger. C’est des choses pareilles que nous avons vécues, c’est
inoubliable.
Ensuite en 1987, j’ai été le lauréat du « Ciseau
d’or » en Côte d’Ivoire. Dans les règlements de cette compétition, le
vainqueur devrait habiller miss Côte d’Ivoire dont la première édition était en
1988. C’est ce que j’ai fait et j’ai connu Paco Rabbane, à cette occasion. Voilà
des étapes qui ont contribué à notre succès, sans oublier la rencontre de
Nelson Mandela en 1998. Ce dernier est différent des autres chefs d’Etat, il
aimait porter ce que nous fabriquons en Afrique, une sorte de publicité qui a
propulsé notre image à l’international. Le complexe d’infériorité des africains
ne donnait pas une visibilité à notre travail car du point de vue vestimentaire
ils veulent ressembler aux blancs.
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Une colonne de créations Pathé'O en coton, en faso-danfani et en tissu teint par des artisans locaux |
Afrik-une : A
l’époque, Treichville et quelques quartiers d’Abidjan comptaient de nombreux
couturiers de renommée dont les œuvres sont peu connues des jeunes générations.
Mais vous, vous traversez le temps. C’est quoi les secrets de cette longévité dans
le métier ?
D’abord parce que je ne suis pas mort donc je
continue de travailler. Beaucoup de nos contemporains ont été en France pour
apprendre la couture, ils sont restés classiques. C’est vrai qu’ils habillaient
des gens mais ces couturiers sont restés dans le sillage des autres. Moi, j’ai refusé
cette vision, j’ai décidé d’avoir une ligne internationale pour habiller tout
le monde. Avec cette option, nous avançons dans le temps sans disparaitre.
Afrik-une : Quand
vous posiez vos premiers pas dans la couture en 1969. Croyiez-vous faire une si
longue carrière ?
A l’époque le métier de couturier n’avait pas de
carrière. Le métier n’existait pas, il ne contribuait pas au développement. Ce
n’était pas un métier d’avenir. Ceux qui avaient le pouvoir d’achat s’habiller
en Europe. Mais, c’est à force de développer le domaine qu’on réussit.
Afrik-une : D’où vous vient toute cette inspiration qui précède chacune de vos créations ?
Moi, j’ai appris à travailler. Je ne sais rien
faire d’autre que ça. Si en 50 ans, je ne suis pas capable de le faire, c’est
qu’il y a un problème. Je pense qu’il faut toujours apprendre, s’appliquer et
prendre au sérieux ce qu’on fait. Ainsi on avance.
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"L'habilleur des chefs d'Etat'' comme l'appellent certains proches contribue également à la valorisation de la beauté féminine... |
Afrik-une : Aujourd’hui
Pathé’o, c’est une marque que tout le monde s’arrache. L’histoire ne s’est pourtant
pas construite sur un coup de baguette magique. Les échecs et les obstacles,
vous en avez connus. Quelles sont les difficultés que vous avez dû surmonter ?
Vous savez, le parcours d’un couturier en Afrique
est fait d’incertitude. Chaque fois que vous sortez dans la rue ou partez à un
évènement, vous vous demandez quel est l’impact de votre travail, car vous ne
voyez personne porter l’un de vos vêtements, le reflet n’y était pas. L’échec d’un couturier ce n’est pas forcément
dans la pratique du métier, c’est l’entourage, c’est la visibilité. Le monde
qui vous entoure, si vous n’avez pas un moral de fer vous ne pouvez pas
continuer. On a compris que tout est faux autour de nous, la réalité c’est
nous. C’est celui qui croit à ce qu’il fait, et moi je suis arrivé à ce stade.
Afrik-une : Quelles
sont les valeurs, les qualités, qui ont conduit ces années d’activité, que vous
recommanderiez aux jeunes couturiers ?
Je recommande aux gens la patience, le courage et
le temps. Ce n’est pas un métier ou l’on devient facilement riche. C’est un
cheminement, c’est un parcours. Combien coûte une chemise pour qu’on puisse
économiser ? Mais il faut y croire,
bien vrai qu’il y’a des difficultés, il faut être utile.
Il faut s’organiser pour respecter la date des
rendez-vous. Mais honnêtement, je pense qu’un couturier qui ne donne pas de
faux rendez-vous ne travaille pas bien, puisque si tu travailles bien, l’on
t’obligera à prendre des tissus. Cela est propre à notre métier, ça peut
arriver à tout le monde. On peut ne pas finir le travail de ses clients mais il
faut savoir leur parler et surtout faire un bon travail pour qu’ils oublient la
déception liée au retard. L’autre souci, c’est que les jeunes gens sont trop
pressés aujourd’hui. Je leur recommande de donner du temps pour mieux apprendre
le métier.
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...comme le témoignent ses deux créations |
Afrik-une : Pensez-vous
à une initiative pour la formation des jeunes ?
Je ne veux pas d’une école de couture, ce n’est
pas mon truc, cela rend arrogant, nous sommes des gens de terrain. Nous avons récemment inauguré un centre ou nous
pourrions coacher des stagiaires qui ont besoin d’orientation. Dans la mode, il
y’a le savoir-faire. Quand vous avez un vêtement, il y’a la manière de coudre. Vous
pouvez prévoir le teint, la taille, l’âge, l’occasion à laquelle le vêtement
peut être porté. Tout cela est à étudier. Notre devoir est d’aider les gens, il
y’a beaucoup à faire.
Afrik-une : L’Afrique
de l’ouest, 6è exportateur mondial du coton, ne transforme que 2% de son or
blanc et 90% envoyé vers l’Asie. Que faut-il à la Côte d’ivoire et au reste du
continent pour développer l’industrie du textile comme c’est le cas en
Chine, au Bangladesh, en Inde et en Turquie ?
Nous commandons parfois nos tissus en Chine ou en
Inde et il nous faut souvent attendre six mois avant de les recevoir. C’est
déplorable. Il faut prendre conscience que la mode est un métier lucratif et une
source d’emploi. Aucun pays ne peut se développer sans la mode. Les pays de nord
ont développé le secteur du textile, maintenant ils se déploient en Afrique à
cause de la main d’œuvre qui est moins chère. C’est d’hommage mais l’Afrique n’existe
pas, elle vit seulement. Sinon, nous existons par rapport à quoi ? Quand vous
regardez tout ce que porte l’africain au quotidien, il y’a au moins un accessoire
qui ne nous appartient pas. Aujourd’hui au Burkina, tout le monde s’habille en
faso-danfani (tissu traditionnel confectionné à la main) et les créations que
les jeunes en font sont incroyables. Il faut changer de mentalité.
Afrik-une : Quelle
est votre plus grande satisfaction, après 50 ans de métier ?
C’est d’être vivant, cela me suffit car je n’ai
rien donné à Dieu pour le mériter. Lors des défilés dans certains pays
étrangers, les créateurs ivoiriens sont programmés en dernière position, ils
veulent voir ce que nous faisons. Et ça, c’est une satisfaction, parce que la
mode est tellement belle et douce, on ne peut pas être dans la mode et être
mécontent.
Interview réalisée par LAWANI Babatundé
Retranscrite par Djibo Amadou
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