Afrique/ Industrialisation : « Le vrai engagement, c’est chez nous et avec nous »
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Mamadou Cissokho, Fermier à Bamba-thialene (Koupentoum)
Sénégal / (Image d’archives) Crédit Photo : Google
La Banque Africaine de Développement, BAD, a organisé, du 7
au 9 Mai à son siège d'Abidjan, un Forum de la Société Civile sur le thème « Engager
la société civile pour accélérer l’industrialisation de l’Afrique ». Mamadou
Cissokho, l’un des principaux panélistes
à accorder une interview à la rédaction de Afrik-une. Mamadou Cissokho est
membre du Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs d’Afrique de
l'Ouest, ROPPA, et porte-parole de l’Organisation Panafricaine des Agriculteurs,
PAFO.
Afrik-une :
Après 60 ans d’indépendance, l’Afrique
exporte la plupart de ses matières premières. Quels sont, aujourd’hui, les obstacles
à l’industrialisation du continent ?
Le problème essentiel c’est que quelqu’un nous a rappelé
qu’il y’a trois grands déficits en Afrique. Le premier, il dit que nous ne
sommes pas assez confiants. Il a ensuite évoqué la gouvernance. Et enfin, il
dit que nous ne sommes pas très curieux. Je lui ai dit tout que cela, nous les
retrouvons en un homme qui s’appelle Thomas Sankara qui a montré que dans la
pauvreté on peut se mobiliser pour croire en nous-même. Et puis, les pères des
indépendances croyaient en l’industrialisation du continent. La Côte d’Ivoire
en est témoin. Ce pays mettait 35% de son budget dans l’agriculture. Aujourd’hui il est à 4%. Les pères des indépendances
en Afrique ont fait des industries. Les 20 premières années d’indépendances, il
y’avait combien d’usines ici. Il y’en avait. Nous portions des vêtements
confectionnés dans nos pays. Nous produisions du coton que nous transformions.
L’ajustement structurel est venu. Evidemment ceux qui voulaient nous pomper
l’oxygène ont tout cassé. Je fais la comparaison avec la crise des subprimes en
Occident. Quand les banques ont fait un mauvais travail, elles n’ont pas toutes
été fermées. Elles ont été restructurées. Mais ici, nos sociétés d’Etat ont été
liquidées. C’est de bonne guerre parce qu’ils ne veulent pas que nous soyons
autonomes. Mais la réalité aujourd’hui, c’est que l’industrialisation ne peut
pas être uniquement 50 ou 80 usines à Abidjan. Il faut que les PMI et PME se
développent. Cela pour qu’on évite tous les coûts de transport. S’il existe une
zone où on produit quelque chose, il faut implanter dans cette localité une PME,
PMI. En ce moment on emploie les jeunes de cette région. Ils vont améliorer
leurs conditions de vie. Et la région vie. Alors, au lieu de mettre 25 grandes
usines dans une ville, il faut installer 150 PME dans plusieurs régions. On
aura la vie dans ces régions. C’est la transformation qui est la
plus-value. Il faut éviter de sortir la matière première de la région, produire
sur place, transformer sur place et créer des emplois. Cela ne peut pas se
faire avec des taux d’intérêts de 20% et demander des garantis à 100%.
A-U :
Que peut être la part de responsabilité des pays africains ?
Le commerce est une guerre où les armées sont invisibles.
C’est la compétition. Par exemple le cacao. Il ne nous appartient pas. On nous
l’a amené, on l’a développé et ce sont eux qui le consomment plus que nous.
Vous voyez bien que c’est un gros morceau pour eux. Donc, ce n’est pas autour
d’une table que nous allons décider et qu’ils vont accepter que nous fabriquions le chocolat en Afrique. Il faut
être réaliste. Sinon pour le maïs, il n’y a pas de débat. Pareil pour l’igname.
Occupons-nous d’abords de l’igname et du maïs. Transformons-les. Développons le
marché pour que tout le monde mange bien ça. A l’image de l’attiéké, la sémoule
de manioc. Tout le monde le mange mais il n’est pas suffisant. Travaillons sur
ça et négocions pour le chocolat.
A-U :
Quels rôles doivent jouer les Etats africains et les institutions de
développement telle que la BAD pour arriver à une industrialisation effective
de l’Afrique ?
Les gouvernements doivent jouer le rôle de défense d’intérêt
national et la BAD doit faire l’harmonisation. C’est ce qui a été fait dans les
autres pays. On a aidé les jeunes à s’installer, à qui on a remis des crédits
bonifiés et on a protégé leurs marchés. Sinon, si les jeunes commencent à
produire des œufs, des poussins, des poulets ou élèvent des moutons et on ouvre
le marché pour que la viande en provenance du Brésil nous envahisse, ils vont
abandonner. Dans tous les pays du monde, il y’a des politiques pour pouvoir
insérer les jeunes dans les emplois. Et ce sont des politiques publiques. On
les aide, on les accompagne et on leur permet de vendre. Tu ne vas pas faire
une activité en ne sachant pas si tu vas y gagner ou pas. Ce que nous avons
demandé à la BAD, nous organisations des producteurs, c’est de dire qu’elle
s’engage auprès des gouvernements pour que quand on prépare des programmes, que
ce soit fait avec les bénéficiaires. Que nous puissions être dans le comité de
suivi et d’évaluation. Et qu’elle accorde un financement pour faciliter le
déplacement des membres de la société civile retenus. Que le taux du crédit
soit harmonisé dans toutes les régions du continent. La BIDC et la BOAD doivent
être soutenues par la BAD pour travailler avec les banques locales. Demandez
aux coopératives, il est très difficile d’avoir un financement. Tout le monde
reconnait aussi qu’il y’a eu des mauvais payeurs. Mais ce n’est pas une raison
pour arrêter le crédit. Nous souhaitons que la BAD prenne maintenant à bras le
corps ces questions. L’intégration des peuples africains a été également mentionnée
comme un frein à l’industrialisation. Cela n’est pas un problème. Nous le
sommes déjà. Il ne reste qu’à nous soutenir.
A-U :
Vous avez évoqué l’exemple de Thomas Sankara. Comment a-t-il amené le peuple
burkinabé à faire confiance en lui-même et à le mettre sur le chemin du travail ?
Thomas Sankara a tout simplement dit à son peuple que
le Burkina Faso est l’un des plus pauvres pays d’Afrique. Et qu’ils ne peuvent
pas compter sur des gens pour leur sortir de cette situation. Il les a mobilisé
à se servir de ce qu’ils ont pour avancer. Par exemple, il a dit :
« tissons le coton que nous produisons pour le porter. Mangeons les
céréales ». Il ne s’est pas contenté de le dire. Il a montré l’exemple et
son peuple l’a suivi. Il n’était pas riche. Sa population a eu confiance parce
qu’il a été un chef qui faisait ce qu’il disait. Le premier responsable du
changement c’est la tête. La gouvernance c’est non seulement de mettre les
règles mais d’être les premiers à les obéir et les appliquer. En ce moment tout
le monde va suivre. Et ce qu’il a fait au Burkina Faso, les traces sont là
jusqu’aujourd’hui. Le président Roch Marc Christian Kaboré s’habille dans son
faso danfani, tenue traditionnelle burkinabé. Et plusieurs fonctionnaires le
font aussi. On peut le faire partout en Afrique. Nous ne devons pas toute de suite
penser à exporter loin de nous. La CEDEAO aujourd’hui, nous sommes 320 millions
et en 2050 nous serons 800 millions. Nous devons réfléchir pour ce marché. Il
ne faut pas laisser les autres prendre ce marché. Avant que je ne me batte pour
être fort dehors, j’essaie d’abord d’être bien chez moi. Donc le vrai
engagement, c’est chez nous et avec nous.
Interview réalisée par LAWANI Babatundé
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